Cinquante millions de chinois





Selfie dans le train, selfie au musée, selfie pour une fille, selfie pour un garçon. Pour se représenter soi-même, là, tout de suite, pour montrer, se montrer, avec ou sans cadre, hors ou en contexte. Selfie pour alimenter la vitrine du soi-même, pour créer ou modifier sa personne sociale. Pour dire je suis là, regardez-moi. Pour dire je vous emmerde, regardez, regardez, regardez-moi. Selfie à plusieurs, c’est possible aussi, oui, oui, regarde tous mes amis, regarde comme j’ai des amis, des gens qui m’aiment, des gens que j’aime, je, je, je, j’existe, je suis au cœur de tout, au centre de ma vie, j’existe et le reste a moins d’importance. Je fais, je dis, je vois, mais surtout je suis là, regarde comme je suis là. Décomplexé, j’ai même pas honte de me montrer autant, je vois pas pourquoi j’aurais honte de m’aimer, ou de le faire croire, c’est important de s’aimer, regarde comme je suis aimable. Aimable, adorable, aimez-moi, regardez-moi. Décomplexé, vraiment ? Qu’est ce qui se passe quand personne n’aime mon selfie, mon self, m’aiment-ils un peu moins, m’aiment-ils encore ou tout court ? Likeur de l’instantané, likeur spontané, pourquoi tu likes pas ? Des pouces, des étoiles des cœurs, peu importe, je veux du like, preuve d’amour éphémère qui parfois s’achète, je te like si tu me likes, likons-nous, like, like, like, like me if you can.