Née un 4 janvier


Il se souvenait encore de la date de son anniversaire.

Il n'arrivait pas à décider si ça le faisait sourire ou si ça le rendait pathétique, et finit par en rire, un peu jaune.
C'est qu'ils n'avaient jamais vraiment eu d'histoire tous les deux. Quelques nuits ratées, occasionnées par quelques soirs beaucoup trop alcoolisés.
On ne pouvait pas dire qu'elle était très belle. On ne pouvait pas dire qu'elle ne l'était pas. Elle-même n'aurait peut-être pas non plus su le dire ; elle avait cette arrogance qu'ont ceux qui savent jouer de leurs charmes, mais pour qui ça n'a pas toujours été le cas. Elle semblait passer son temps à prendre sa revanche sur une adolescence que l'on suppose ingrate. Qu'il a supposée ingrate. Après tout, il n'en savait rien.

Pourquoi il y pense encore ?

On ne pouvait pas dire qu'ils avaient été amis. Ni qu'ils s'étaient fréquentés. Ils n'avaient rien, ou peu, en commun. Ils s'étaient rencontrés par le biais de circonstances plutôt banales, des amis d'amis d'amis, un soir d'été. On boit, on rigole bien, on se revoit, on boit, on se surprend à flirter, mais on n'est pas intéressé, mais on flirte quand même. Et puis oups, on a trop bu, et puis tiens, on est tout nu. Et puis... et puis pas grand chose, les excès de l'alcool ont sur le corps des effets indésirables, qui rendent les autres un peu trop désirables, mais soi-même, finalement, bien incapable.

Il lui a fait peur.

Il lui a dit appelle-moi.

Elle a du croire qu'il tombait amoureux, ou un truc dans le genre. Elle a du croire qu'il voulait l'emmener au cinéma et savoir son avis sur le film autour d'un plat italien. Ou pire qu'il voulait mieux la connaître au gré d'une balade nocturne, main dans la main dans le cinquième avec vue sur Notre-Dame. Non mais. Il voulait simplement finir ce qui avait piteusement commencé, il savait qu'il n'avait pas besoin d'être ivre mort pour avoir envie d'elle. Sa peau... Si prometteuse.

C'est donc ça. 

Mais oui, c'est ça.

C'est tout bête. Non, parce qu'il a quand même douté, un court moment. Il y pensait souvent à cette fille, alors peut-être que ça voulait dire plus que ce qu'il pensait que ça voulait dire, mais non, non, non, il était tombé amoureux avant, après. Il savait ce que c'était que de se perdre dans une autre personne. Elle ne lui avait jamais inspiré l'envie de se perdre. Il n'avait simplement pas voulu que leurs chairs ne connaissent pas le plaisir qu'elles auraient pu se donner.

C'était du désir inassouvi. De la déception et un peu de frustration. Ce n'était rien.

Brève métropolitaine


Il est monté à la station Strasbourg-St Denis. Je l'ai détesté immédiatement. Il était là, avec ses sacs, des tas de vieux sacs plastiques, très probablement remplis d'autres vieux sacs plastiques. Il n'en avait rien à faire que la rame soit bondée, ça non, rien à faire, je l'ai vu tout de suite. Son crâne dégarni me révulsait. Son pantalon de velours côtelé d'un autre temps m'aurait presque fait pitié s'il ne l'avait pas assorti d'une paire de chaussures de course. Des chaussures de course !

Il a fallu qu'il descende au même arrêt, il a fallu qu'il soit devant moi, lourd et lent. Ces couloirs sont trop petits, trop étroits, je ne peux ni passer à gauche, ni passer à droite, je m'impatiente, soupire exagérément ; va-t-il comprendre et me laisser passer ? Non ! Evidemment, non ! C'est alors que d'un geste rapide je tendis mes mains devant moi, vers ses épaules tombantes, et donnai une légère - mais suffisante – impulsion. Il chût comme il avait vécu, lourdement, lentement, et avec une laideur répugnante. Je vis sa tête rebondir sur les marches de l'escalier, ses sacs débouler bruyamment, mais ne m'y attardai pas : j'allais pouvoir être à l'heure à mon rendez-vous.

Notes sur le frigo


  • racheter des éponges
  • ne pas râler contre les piétons indécis
  • faire une compote avec les pommes du grand-père
  • laisser l'eau brûlante couler encore un peu sur ma peau nue
  • respirer
  • apprendre à siffler
  • se réjouir de la pluie et du brouillard

Du bruit pour les monstres


Il y a des monstres... Il y a des monstres affreux et laids, que l'on voit venir de loin et que l'on peut combattre en connaissance de cause. Je dis pas que c'est facile de les combattre, je dis juste qu'on les reconnait.

Et puis il y a d'autres monstres. Des monstres jolis, des monstres qui vous veulent du bien. Ils vous cajolent, ils vous rassurent. Et puis un jour, ils vous attaquent sournoisement. Mais c'est pour votre bien, c'est parce qu'ils vous aiment. Ils profiteront d'un moment de faiblesse et s'installeront dans une de vos plaies. Vous leur ouvrez une porte et ils s'y engouffrent et prennent toute la place. Ils vous dépossèdent.  Mais toujours, ils vous aiment et c'est pour vous qu'ils font tout ça et vous ne savez leur en vouloir.

Alors ils vous donnent envie de devenir minuscule, pour que, peut-être, avec un peu de chance, ils ne vous voient plus. Ils vous donnent parfois envie de disparaître, un peu, quelques instants, oh pas vraiment, mais juste un peu. Et vous devenez tout, tout petit. Mais ils vous voient toujours. Et toujours, ils continuent à grignoter des petits bouts de vous.

Mais c'est pas comme ça qu'on combat ces monstres, c'est pas en devenant tout petit. Non, il faut faire du bruit, beaucoup de bruit, toujours plus de bruit. Ils ont peur de votre bruit, ils aiment pas ça, ils aiment pas ça du tout. Ils vous diront que vous êtes fou, que vous n'êtes pas sérieux, mais qu'est-ce qu'il te prend doudou, pourquoi tu te fâches comme ça ?

Vous les croirez parfois, c'est vrai, qu'est-ce qu'il vous prend de vous énerver pour un rien, non vraiment ça va pas trop bien. Alors vous reprendrez une couche de c'est pour ton bien. Puis ça recommencera, vous ferez du bruit, beaucoup de bruit, toujours plus de bruit. Un jour, vous arriverez à faire suffisamment de bruit pour tenir le monstre à distance. C'est pas impossible de vivre avec ces monstres, seulement, il ne faut jamais oublier de faire assez de bruit.

Les additions contradictoires


Je t'écris depuis mon canapé que j'arrive à replier depuis deux jours. Fête. Une semaine dans la peau d'un impotent et on revoit complètement son système de valeurs. 

Faire la vaisselle est une montagne que l'on gravit à petits coups d'éponge réguliers, prendre une douche un exploit que l'on apprécie brûlant, dormir, un marathon. C'est que le sommeil et moi, on s'entend pas trop bien. Je ne sais pas exactement ce que j'ai fait pour lui déplaire autant, et pour qu'il ne daigne m'accorder sa grâce salvatrice que quelques heures par nuit. Donc me voilà chez moi depuis une semaine, immobile et faible, très heureuse et très malheureuse à la fois, comme souvent. Parce que comme l'a dit quelqu'un, un jour, nous sommes la somme de nos paradoxes. 
Je suis une addition contradictoire.

Méga craquage chez le médecin, on pense souvent qu'on maîtrise les choses, mais quand on te demande comment ça va sinon, tous les jours ? et que t'es toute seule dans une pièce avec une médecin qui a de très jolies lunettes, tu peux pas trop utiliser tes petites stratégies d'évitement habituelles. Il y a eu des mots qui font peur, de ceux qu'on n'aime pas entendre et qu'on préfère ignorer. Alors je les répète un peu tous les jours, ces mots, histoire qu'ils deviennent moins gros et un peu moins terrifiants. Je les met devant le miroir et je les observe s'y refléter curieusement. Je les murmure, je les pense et je les crie. C'est donc parti pour quelques mois difficiles, il y a une pente à remonter et peut-être bien qu'elle est pas si pentue que ça.

Je voulais pas trop te dire tout ça, mais il paraît qu'il faut pas que je garde les choses pour moi, alors voilà, ça, c'est moi qui garde pas trop les choses pour moi.

Les yeux, les oreilles et puis la peau


Les deux-roues en équilibre, les voitures en attente, les bipèdes en mouvement.
Des amoureux s'évitent, les voitures ronronnent, les mobylettes s'égosillent et l'autoroute ronfle. Le soleil s'assoit sur un banc. Il brille.

Des îlots d'étudiants flottent sur la marée verte près des pré-fabriqués, ces fabriques à penser.

La solitude du gobelet en plastique. Il roule, le vent sans doute.

Le bruit des talons – un rythme féminin                   mégots d'égo – dégoût des mots



Où suis-je ? Il est 18h, je me réveille.

Have no fear, for I come in peace


Il paraît qu'il faut toujours commencer par se présenter. Je vais donc parler des choses importantes.

Je bois beaucoup de thé et j'ai une attirance particulière pour les mélodies mélancoliques. La voix d'un homme peut facilement m'électriser et je passe beaucoup de temps en pyjama. J'aime écouter respirer la ville et je ne supporte pas les personnes qui chuchotent dans les bibliothèques. J'ai un peu de mal à faire de longues phrases. J'ai une peur panique des chenilles et je n'ai pas vraiment d'affection pour les papillons. Il m'arrive de passer plusieurs jours sans fumer, tout comme de commencer et terminer un paquet dans la même soirée. Si vous savez ça, vous savez l'essentiel.

Je déteste parler de moi, alors j'ouvre un blog.