Coquillages et crustacés


J'ai toujours cru qu'il fallait à tout prix choisir. Et cette idée me paralysait.
Cette idée m'enfermait. Je pouvais littéralement rester plusieurs jours de suite sans sortir, sans me laver, sans parler à qui que ce soit, en essayant tant bien que mal de suspendre le temps. Pour ne pas avoir à faire un choix. Pour ne pas avoir à prendre une décision.
J'aurais pu faire comme certaines personnes que ces situations angoissent, et faire un tableau excel recensant chaque possibilité et les conséquences qui en découleraient.
Mais il faut croire que mon animal totem est l'autruche.
Que ma forteresse est en plume, enveloppée dans une housse Ikea. Ma forteresse est moelleuse, réconfortante, j'y oublie tout. Je m'y oublie moi-même.

J'ai toujours cru que je ne savais pas qui j'étais. Et cette idée m'effrayait.
Cette idée m'enfermait. Je ne comprenais pas ces personnes sûres d'elles, qui avaient des envies précises et qui faisaient se plier le monde autour d'elles pour que ces envies se réalisent. Vouloir, c'est déjà avoir choisi. On en revient à ma forteresse douce. A mon duvet fort. A mon autruche.

Il m'a donc été très facile de me perdre dans une personne. Dans plusieurs personnes à vrai dire, mais elles ne m'ont pas toutes laissées aller aussi loin dans ma perdition. J'ai du leur faire un peu peur. Je voulais être elles, je ne voulais pas être moi, je ne savais pas qui j'étais. Une coquille triste. Je cherchais un Bernard l'Hermite pour m'habiter.
Il a fallu un peu de temps, mais j'en ai trouvé un. Il cherchait une coquille à envahir. Je voulais l'admirer, je l'ai fait. Je voulais qu'il m'aime, il a daigné m'aimer. Au moins un peu. Comment peut-on aimer vraiment une coquille triste ?
Je voulais surtout qu'il me laisse l'aimer tout entier. Il ne s'est pas fait prier. Je connaissais chaque recoin de son corps. Ses rondeurs, ses angles. J'aimais sa douceur, sa force, j'aimais même la partie rugueuse de ses coudes. J'aimais son histoire, j'aimais ses colères. J'aimais ses goûts. J'aimais sa présence, là, contre moi.

J'ai toujours cru que je n'étais pas digne d'amour. Et cette idée m'était familière. Tellement, que je l'avais oubliée. Je m'effaçais au désir de l'autre, je ne voulais pas qu'on me voie moi, je ne savais pas qui j'étais. Je voulais seulement devenir indispensable. J'étais la personne la plus attentionnée que tu aurais pu rencontrer. Je ne comprenais pas qu'on me quitte. Je trouvais ça normal et douloureux, bien qu'incompréhensible.
Comment peut-on quitter quelqu'un qui donne tout ? N'est-ce pas ce que les gens veulent ? Qu'on leur donne tout ?
Il faut croire que non.


Et puis j'ai été très fatiguée. J'ai été très fatiguée. Mon Bernard l'Hermite a commencé à trouver ma coquille moins confortable. Il s'est mis à gigoter dans tous les sens, et ça me faisait des bleus à l'âme. Je n'étais qu'une coquille triste, je ne comprenais pas. Puis il est parti. J'ai failli disparaître. Tout me faisait mal, même mon duvet d'autruche était dur contre ma peau. L'amertume était partout, jusque dans les fruits d'été. Tout avait la même couleur, la même saveur. Tout résonnait trop fort, chaque mouvement était un effort. J'étais très fatiguée. J'étais une coquille triste vidée.


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